GRAPHIE NORMALISÉE
DU POITEVIN-SAINTONGEAIS
Comme pour les autres "patois" - le poitevin-saintongeais a d'abord été transcrit selon des graphies individuelles, rarement systématisées et pouvant varier à l'intérieur du même texte.
Depuis le début des années 70, des tentatives d'élaboration de graphie normalisée ont été effectuées, autour des deux pôles associatifs principaux de la région : la Société d'Etudes Folkloriques du Centre-Ouest (SEFCO) et l'Union Poitou-Charentes pour la Culture populaire (UPCP).
La première tentative de graphie normalisée qui a bénéficié d'une certaine publicité a été celle de Jacques DUGUET. On en trouve une présentation en 1971 dans la revue de la SEFCO, Aguiaine et sous le titre "Graphie normalisée et Dictionnaire". Des travaux pour l'établissement d'un dictionnaire concernant l'ensemble du domaine étaient alors en cours.
Le système a été utilisé par Jacques DUGUET pour la publication de son Anthologie en 1973. Mais en 1978, lors de la publication de la lettre A du dictionnaire (devenu alors Glossaire), l'esprit est différent. On lit dans la présentation : "L'idéal est une transcription phonétique [...] Nous avons essayé plusieurs modes de transcription [...] Ainsi nous sommes-nous repliés sur un ensemble de conventions, qui ne constituent en rien un système, mais qui ne devraient pas demander un trop grand effort d'assimilation".
Lors de la publication globale du glossaire, 3 tomes entre 1992 et 1994, la transcription a encore évolué sur quelques points, parfois pour se rapprocher davantage des conventions françaises (ex. du L mouillé).
Notons qu'en 1982, Pierre BONNAUD avait proposé un système, dans la ligne de Jacques DUGUET mais avec quelques modifications concernant, notamment, la notation des consonnes finales et des marques morpho-syntaxiques.
GRAPHIE LOCALISÉE (UPCP - 1982)
D'autres travaux ont été effectués dans le cadre de l'UPCP.
Un premier système est élaboré entre 1979 et 1982, qui sera dit "graphie localisée". Les principes avancés en sont :
"1/ ne pas reproduire les difficultés ou incohérences du français et réduire la part de l'étymologie (redoublement des consonnes, fausses diphtongues au, ei, ai...).
"2/ accepter les diverses formes selon les parlers, mais s'entendre pour transcrire un son donné avec la même lettre ou groupe de lettres.
"3/ noter le plus nettement possible les sons différents du français, même avec des groupes de lettres inusités en français".
Cette "graphie localisée" est "phonétique", au sens où on écrit des sons avant d'écrire des mots. Elle répond au principe premier : un son - une lettre (groupe de lettres). En fait, il y a sélection d'un certain nombre de formes possibles à l'exclusion des autres : ni K ni W, "oé" vaut pour les prononciations "oé" et "oué", notation des E muets finaux et des consonnes finales signalant des dérivations... On peut dire qu'il y avait là une normalisation restreinte. Déjà trop de normalisation d'ailleurs, pour certains, puisque des ajustements individuels sont rapidement apparus.
Ce système présente certains avantages, en particulier :
- il est assez simple d'utilisation puisque peu "savant" et rompant peu avec les habitudes d'un lecteur de français.
- il respecte les variétés phonétiques et permet de localiser le parler et le scripteur.
Mais certains inconvénients sont apparus. En voulant réduire l'écart entre oral et écrit pour le scripteur, elle l'accentue pour le lecteur d'une autre partie du domaine, qui peut avoir des difficultés à y reconnaître sa langue. Le bénéfice du respect des différences s'accompagne d'une perte de la conscience d'unité de la langue en en marquant l'éclatement. Sociologiquement, elle divise le groupe des locuteurs.
De plus, privilégiant le locuteur natif, elle défavorise le néo-poitevinisant. Ce qui pose la question de l'avenir de la langue, et de la base sociologique sur laquelle on mise pour l'assurer.
Un autre inconvénient, plus pratique mais non superflu, se révèle dans la production de documents tels que grammaires et dictionnaires. La multiplicité des formes à laquelle conduit le système, complique la tâche des auteurs (ce qui est un moindre mal) mais surtout conduit à des textes surchargés et difficiles d'utilisation.
Si l'ambition, en établissant un système simple, était d'aboutir à une utilisation par le plus grand nombre, il faut bien constater sur ce point un échec.
GRAPHIE NORMALISÉE (UPCP - 1989)
A partir de 1985, l'idée d'aller vers une graphie normalisée commençait à s'installer chez quelques membres de l'Atelier Parlanjhe de l'UPCP ; ou, quelques résistances commençaient à tomber. Le système aujourd'hui fixé est recommandé par l'UPCP, il a été utilisé pour la publication de la Grammaire et du Dictionnaire, et il l'est actuellement pour la publication des textes qu'elle dirige.
Le principe de base n'était plus, comme pour la graphie localisée : "un son - une lettre (groupe de lettres)", mais : "une lettre (groupe de lettre) - plusieurs réalisations phonétiques possibles".
Le mot a une écriture unique :
- pour toutes les parties du domaine. Elle marque à l'écrit l'unité de la langue tout en permettant la diversité à l'oral. Ex. Jhàu vaut pour ce que la graphie localisée notait : jo/jao/jho/jha. Çhau vaut pour : quio/tcho/tio/çho.
- le mot a une écriture unique même si la prononciation varie en fonction de sa place dans la phrase. Ex. in chevàu, in chevàu bllan (diphtongué dans le premier cas seulement).
Le mot est situé dans le lexique :
- on notera des consonnes finales muettes pour marquer les dérivations ou lorsqu'elles peuvent s'entendre en liaison. Ex. chàud (chaud) > chàude, chaudure ; ét (frs est) mais é (frs et).
- on gardera le digramme en position non accentuée (non diphtongué) pour respecter la famille du mot. Ex. pàeche (frs pêche), paechour (frs pêcheur).
Le mot est situé dans une histoire :
- on tiendra compte de l'étymologie, dans la mesure du possible. Ex. chace (chasse) / chasse (châsse). Elle permet souvent de distinguer des homophones.
- on notera les E muets finaux pour tenir compte d'une tradition romane, d'autant plus qu'ils peuvent être sonores dans une partie du domaine.
On peut ajouter que la graphie se veut fonctionnelle, au sens où toute lettre a une fonction, pas de lettres "gratuites", pas de recherche esthétique. La graphie veut répondre à un principe d'économie.
- on ne doublera les consonnes que si elles sont effectivement prononcées. Ex. annàie, prononcé an-nàie, "ll" notant le L mouillé).
- on ne notera de S adverbiaux que s'ils s'entendent en liaison. Ex. pa (frs pas), mais dépeùs (frs depuis).
Par rapport aux autres langues, la priorité est de marquer la spécificité du poitevin-saintongeais en demeurant dans la famille romane.
Il n'y a pas de volonté particulière de rapprochement avec le français (ni avec l'occitan même si le système a pu être consulté, ni avec quelque autre langue romane ou non). Il n'y a pas davantage volonté d'établir une graphie réactive par rapport au français.
Tout en faisant sa place à l'étymologie, la graphie n'est pas archaïsante, en ce sens elle est moderne : le fonctionnement actuel est prioritaire sur l'étymologie s'il y a concurrence. Ex. tabat, frs tabac, car adjectif dérivé tabatous.
Voir le tableau "Graphie et prononciation" GRAFANJHE
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