"PATOIS"

Le poitevin des érudits locaux au XIXe siècle

 

Au cours du XIXe siècle, les érudits locaux ont publié une grand nombre d'opuscules, études ou lexiques, souvent dans le sillage de l'Académie Celtique. La lecture des introductions à ces ouvrages donne une idée de la perspective de leurs auteurs.

L'Abbé Lalanne, qui publie en 1868 son Glossaire du Patois poitevin, une pièce maîtresse de la lexicographie poitevine, écrit ceci :

"... cette foule de mots à formes diverses, ces sons de voix si variés. Ici ils se traînent lourdement, ailleurs l'articulation est plus brève, là comme empâtée d'une salive épaisse, ou bien nasillarde et désagréablement chantante..."

"... le patois poitevin est un mélange confus de mots, d'expressions et de désinences qui appartiennent aux divers dialectes voisins de notre province, qui se sont formés à la suite de la décadence de la langue romane [...] il peut être considéré comme un spécimen des modifications multiformes que ces dialectes ont subies [...] le langage est à peu près stationnaire depuis le XVIe siècle..."

Qu'est-ce qui peut pousser à rédiger 265 pages de glossaire, sur deux colonnes, avec 40 pages d'introduction, d'un parler aussi inconsistant ? Si l'Abbé Lalanne était un cas isolé, nous pourrions sans doute invoquer sa problématique personnelle, mais l'extension de ce type de propos conduit à poser la question d'une nécessité d'un autre ordre.

Nous lisons chez d'autres auteurs :

"Nous devons déclarer que le patois n'a produit que des oeuvres assez médiocres. Nous y trouvons quelques lueurs de sentiments, mais obscurcies par des passions bien matérielles et bien brutales [...] Nous n'enlevons point là une large part de gloire aux habitants de la campagne, en prononçant leur exclusion de la liste des troubadours poitevins [...] Personne, pas même le paysan [...] ne changerait notre belle langue française, si nette, si souple, si variée, si imagée, pour cette langue gutturale, dure, heurtée, souvent obscure et riche en mots salés..." (Favre, 1867).

"Ce sont des poésies en patois poitevin [...] Un sentiment de répulsion se manifeste à cette idée : ce sentiment fut le mien au premier abord. Car cette langue peut-être ne vous est pas inconnue, si vous avez parcouru quelque coin bien arriéré de nos campagnes, et si vous avez entendu ces gens à l'oeil oblique et aux longs cheveux, articuler leurs sons monotones et accentués" (M. de la Fouchardière, 1830).

 

SAUVETAGE ?

Dans quelle optique, alors, ces publications ont-elles été produites ? Un aspect sauvetage est annoncé, mais un sauvetage de "monument", selon le terme de l'époque, c'est-à-dire pour le souvenir, comme relique de l'origine.

"Le langage poitevin est un des précieux restes de notre langue au berceau" (Dreux-du-Radier, 1758).

"Il n'est pas douteux que les divers patois [...] ne conservent tous des fragments du celtique" (La Revellière-Lépeaux, 1809).

"... la langue française dans l'enfance..." (Dupin, 1817).

Sauver le patois, en l'occurrence, n'est pas lui sauver la vie.

"Lorsque la Société Royale aura recueilli ces fragments épars de nos antiquités, je serai le premier à désirer de voir disparaître et s'effacer entièrement ces différences d'idiome qui isolent encore quelques membres de la grande famille française" (Dupin).

"Nous ne souhaitons plus d'entendre ces dialectes patois dont nous ne pouvons, aujourd'hui, reproduire dans nos Glossaires la prononciation d'une manière exacte [...] nous sommes heureux, au contraire, d'assister à ce grand mouvement d'unité qui fait que la France n'a qu'un même langage pour exprimer ses idées, et qu'un même coeur pour sentir de nobles et généreux sentiments" (Favre).

"Le patois, ici comme ailleurs, ne disparaîtra complètement que lorsque les mères cesseront de le parler à leurs nouveaux-nés. Alors seulement disparaîtront tous ces dialectes, toute cette barbarie de langage, qui semblent s'obstiner à divorcer tristement avec notre idiome national" (Lalanne).

Force est de laisser de côté le préjugé selon lequel seul l'amour pour l'objet d'étude pourrait conduire à la publication. Ici même, le terme de "poubellication" introduit par Jacques Lacan prend tout son relief.

Rien n'autorise, en effet, à douter du mépris ou de l'horreur des auteurs pour leur objet, et voir dans leurs commentaires de simples mauvaises excuses venant masquer un nationalisme poitevin sous-jacent.

S'il y a nationalisme, il est bel et bien français. Que La Révellière-Lépeaux ait été Directeur de la Première République, et Dupin, préfet de Niort, doit bien signifier quelque chose.

On évoque l'horreur que peut inspirer le patois, mais on peut aussi - et parfois les mêmes auteurs - évoquer sa saveur et son pittoresque.

"Faut-il laisser périr tout entiers, ces vénérables idiomes, les laisser partir sans un regret, sans tenter d'en garder, dans la mesure du possible, le savoureux et pittoresque souvenir" (Troussier, 1933).

"Mots colorés, expressifs et pittoresques" (Traver, 1944).

"Puissé-je avoir la joie de vous faire rire et goûter la saveur de notre vieux langage" (D'Angles, 1981).

 

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